Interview Petra Volpe

Nous avons eu l’honneur de réaliser une interview de Petra Volpe le 15/09 en visio. Les propos ont été traduits partiellement et reformulés (Petra Volpe, réalisatrice suisse)

“Sophie : Je vous remercie d’avoir accepté notre interview. J’ai particulièrement apprécié ce film, parce que cela montre la réalité, l’humanité dans ce métier, et également les conséquences du sous effectif, et manque de moyens, à la fois sur les soignants et sur les patients.

1) Pourquoi avez-vous traité cette thématique dans ce film?

Petra : J’ai choisi cette thématique parce que j’ai connu une infirmière pendant des années, et j’ai observé comment les conditions de travail se sont dégradées. C’est une thématique qui nous concerne tous, je suis une patiente potentielle, nous sommes tous des patients potentiels. Les conditions de travail des infirmières sont une grande thématique dans la société, ça devrait l’être en tous cas. J’ai pensé à cette thématique pendant des années, et puis, il y a eu le covid, les personnes ont applaudi dans les rues, et on a célébré les infirmières, et après le covid, cela a disparu. D’après les chiffres, c’est clair qu’il n’y a pas assez d’infirmières mais les politiciens ne font pas attention/en ont que faire. Parce que c’est symptomatique de la société, c’est un travail où les femmes sont majoritaires donc il n’est pas pris au sérieux. Cela m’énerve. Et ce que je voulais dire, c’est que si une infirmière manque sur un poste, il y aura des conséquences pour les patients mais aussi pour les autres infirmières. C’est aussi pour célébrer le travail des infirmières.

Sophie : 2) Quels sont les objectifs de ce film?

Petra : C’est pour rendre hommage aux infirmières, montrer aux patients qu’il faut parfois être patient, être conscient que ce ne sont pas les infirmières qui ne veulent pas faire le travail mais les conditions de travail qui les en empêchent. Le film est comme un “cri de guerre” pour les infirmières. Je souhaite qu’on puisse montrer ce film aux politiciens, aux dirigeants des hôpitaux, et leur montrer les conséquences de la situation actuelle.

Sophie : 3) Avez vous été en contact avec des infirmier-es pour réaliser ce film au plus près de la réalité?

Petra : Je me suis inspirée d’Unser Beruf ist nicht das Problem, es sind die Umstände (en français, "Le problème n’est pas notre métier, c’est le contexte"), un livre-enquête de Madeline Calvelage, une jeune infirmière allemande. Elle a participé au scénario du film en tant que consultante. J’ai fait des dizaines d’interviews d'infirmières. Je suis allée à l'hôpital pour observer les infirmier-es, leur rythme de travail. Sur le tournage, il y avait une autre consultante, qui a travaillé 25 ans en réanimation . Elle m’a entrainée et entrainée Léonie l’actrice principale, comme une athlète.

Sophie : C’était très réaliste, on a senti la pression avec Floria, la pression de devoir faire le tour des malades tout en étant interrompu régulièrement pour répondre au téléphone, aux demandes des patients. Il manque du temps pour bien faire son travail, pour discuter avec les malades, les écouter, prendre le temps de bien soigner etc….

Petra : les infirmières avec qui j’ai discuté m’ont dit “Ce serait très chouette d’avoir plus d’argent”, mais la chose la plus grave pour les infirmières c’est qu’elles sentent qu’elles ne peuvent pas faire le travail comme elles veulent, et quand elles rentrent à la maison, elles ont le sentiment de ne pas avoir fait le boulot pour les êtres humains, elles ont peur d’avoir fait des erreurs, de ne pas avoir donné tout ce qu'elles auraient aimé aux patients, c’est comme une blessure morale. Elles ont beaucoup de stress à gérer, elles ne peuvent plus soigner les gens correctement.

Sophie : 4) Qu’avez vous appris en réalisant ce film? Avez vous été surprise par la réalité du terrain ?

Petra : On pense toujours que l’on connaît déjà le travail d’une infirmière, on voit à la télé,

mais quand on observe, on voit la complexité de ce travail, on doit savoir beaucoup de choses sur les médicaments, pharmacologie, les doses, et il faut aussi allier l'humain, l’empathie, la psychologie. On pense en que l’on sait mais en vrai, on ne sait pas la réalité.

Elles m’ont dit qu’elles ne pensent pas que leurs maris/copains comprennent leur travail, ils leurs demandent : pourquoi tu es toujours fatiguée, pourquoi tu ne veux pas sortir, pourquoi tu n’es pas de bonne humeur, elles ne peuvent pas exprimer à quel point c’est stressant. J’ai un respect encore plus profond envers les infirmières

Dans une société, la santé devrait être au centre et non pas le profit sauf qu’en réalité, c’est le profit, qui est au centre, c’est pourquoi il n’y a pas autant de respect envers les infirmières.

Sophie : 5) Quel est le retour du public sur le film (les soignants et non soignants)?

Petra : Les soignants : je n’ai jamais reçu autant de lettres de remerciements. Comme si “finalement quelqu'un nous voit et nous donne une voix”. C’est pour ça que j’ai fait ce film.

On avait peut être peur que les infirmières ne souhaitent pas se voir au cinéma après une journée de travail, mais non. Le film donne de la fierté aux infirmières.

Ce métier a un sens, un effet sur les autres humains.

Du côté des patients, ils sont impressionnés, et les respectent. Quand un-e infirmier-e n’est pas dans la chambre, ce n’est pas parce qu’elle se fait un café mais qu’elle est occupée ailleurs. Cela sensibilise le grand public.

On me demande souvent comment on peut aider les infirmiers dans leur lutte, je leurs dis “vous devez les supporter, faire la grève avec eux”.

Sophie : 6) Avez vous vu de grandes différences entre les conditions de travail des soignants de différents pays que vous avez parcourus ?

Petra : Malheureusement c'est pareil. Peut-être un peu mieux en Suisse.

En Allemagne, en France en Angleterre, aussi c’est en crise grave.

En Amérique, c'est encore pire, ils prennent l'argent des hôpitaux, il y a un grand mouvement social des infirmiers là bas. C’est en crise globale.”

Nous remercions chaleureusement Petra Volpe d’avoir accepté cette interview.